Notre reportage débute sur un terrain banal des Hauts-de-Seine. Mais il aurait pu commencer sur n’importe quel terrain d’Ile-de-France. Il est 10h du mat’ et plusieurs jeunes footballeurs ont chaussé leurs crampons. Certains se connaissent car ils évoluent dans les mêmes clubs ou au même niveau. D’autres se croisent pour la première fois. Ils ont entre 14 et 17 ans et vont passer la journée à faire des oppositions entre eux devant leurs parents pour certains mais surtout sous les yeux d’observateurs présentés comme des recruteurs, des intermédiaires voire des agents. Avec leurs petits cahiers à spirales pour les plus scolaires ou avec une caméra sur pied pour les plus organisés, ils sont presque aussi nombreux que les jeunes footballeurs qui attendent patiemment d’en découdre. Bienvenue chez les « recruteurs du dimanche. »
Deux hommes dans le rond central rassemblent les troupes. Ils sont les organisateurs de l’événement. Ils possèdent chacun des chemises avec les profils des joueurs. Ils sont une petite trentaine alors que quarante joueurs étaient attendus.
Ça arrive souvent. C’est dommage car nous essayons d’être organisés et professionnels. Nous avons les coordonnées de tous les joueurs présents et nous faisons signer des décharges aux parents. Un jeune absent donne un signe sur son sérieux. Difficile de l’imaginer dans une structure professionnelle s’il se fait porter pâle pour un essai.
Rabatteur ou charognard ?
Bientôt âgé de 30 ans, Boukary est l’un des organisateurs de cette petite session matinale. Au milieu des jeunes, il se sent à l’aise. Il a toujours baigné dans le football et il se sent utile.
Je suis un ancien footballeur. J’ai joué au niveau national en jeunes mais je n’ai jamais eu la chance de percer. J’ai toujours été dans le milieu du football. D’abord en tant que joueur et désormais en tant que grand frère. Mon petit frère est entré en centre de formation. Tout se passe pour le mieux. J’ai pu rencontrer des recruteurs et des agents quand il a commencé à faire parler de lui. C’est grâce à lui que j’ai pu me créer un petit réseau. Des agents qui ont « la carte » me font confiance. Ils savent que je suis motivé et sérieux. Ces sessions c’est l’occasion pour eux de faire un premier écrémage. Avec le nombre de joueurs qu’ils représentent, c’est difficile pour eux de se déplacer tous les week-ends sur les terrains parisiens.
En clair, Boukary est ce qu’on appelle un parfois un « agent de jeunes » ou plus simplement un « conseiller ». Pas assez reconnu pour accompagner des joueurs professionnels, pas assez expérimenté pour faire signer seul des jeunes en centre de formation, il a en revanche une motivation à toute épreuve. Il agit comme un rabatteur pour des agents officiels. Ou comme petite main, au choix.
Je trouve le terme réducteur, presque caricatural. J’assume mon rôle de rabatteur mais je ne suis pas un charognard. L’objectif est que tout le monde soit gagnant.
Ces « recruteurs du dimanche » se comptent par centaines autour des terrains français. Si on croise beaucoup de recruteurs (re)connus lors des matchs de U17 ou U19 Nationaux, le profil des observateurs sur les catégories et niveaux inférieurs est beaucoup plus hétéroclite. On peut trouver des éducateurs qui ont quelques entrées dans des centres de formation ou de simples passionnés avec un petit carnet d’adresse. Ils sont souvent bien intégrés professionnellement et n’ont aucune autre ambition dans le football qu’être des yeux pour des clubs professionnels. Une activité prenante, pas lucrative, mais extrêmement gratifiante quand le joueur signalé à la chance d’intégrer un centre de formation voire effectuer ses débuts professionnels.
Et puis, il existe une troisième catégorie d’observateurs. Contrairement aux autres, ils ne sont pas désintéressés. Travailler avec de jeunes footballeurs est vu comme la possibilité d’intégrer le monde du football professionnel. Un monde où l’argent est roi. Et ces conseillers savent que le secteur est hyper concurrentiel ! Du coup, il faut parfois ruser pour « faire » un joueur.
Pour repérer un joueur nous utilisons essentiellement trois moyens : se rendre sur les terrains tous les week-ends pour observer des matchs, utiliser le bouche à oreille et depuis quelques années suivre les réseaux sociaux. Grâce à eux, on peut à la fois repérer et contacter les joueurs. Ça facilite la tâche, mais rien ne vaut le terrain pour connaître la valeur d’un joueur. C’est pourquoi ces grandes sessions de recrutement se multiplient !
Pour attirer un jeune footballeur, tous les moyens sont bons. Ces conseillers n’hésitent pas à diffuser des photos d’eux en compagnie de footballeurs professionnels ou de journalistes connus. L’objectif de ces conseilleurs est bien évidemment de montrer aux joueurs qu’ils possèdent un réseau important et qu’ils vont pouvoir rapidement côtoyer le monde professionnel. Ces « recruteurs du dimanche » sont très présents sur les réseaux sociaux. Une fois en compagnie d’un footballeur qui a réussi, une autre fois en photo devant le centre d’entraînement d’un grand club anglais ou parfois même au milieu de boites renfermant des dizaines de paires de chaussures de foot de grandes marques. Il est également très important d’avoir des journalistes dans son répertoire. Pas trop à la recherche du scoop pour ne pas médiatiser le joueur et se le faire « piquer » par un autre agent. Mais assez connu pour faire passer des messages dans les médias quand il faudra négocier un salaire ou un transfert.
S’ils n’ont souvent pas de liens étroits avec des clubs ou des joueurs professionnels, ces observateurs savent se vendre auprès des jeunes footballeurs mais également des recruteurs de clubs. Ces derniers ne sont pas omniscients et n’ont pas de don d’ubiquité. Pour boucler le recrutement d’une génération de futurs pensionnaires, ils doivent parfois faire confiance à ces recruteurs du dimanche, omniprésents sur tous les terrains français. Si le test est concluant, la relation de confiance entre un recruteur officiel et un recruteur du dimanche pourra déboucher sur une nouvelle collaboration.
Recruté l’an dernier par un club professionnel, un jeune pensionnaire de centre de formation témoigne.
Je n’avais quasiment pas de contact avec des recruteurs de centres de formation alors que je voyais mes coéquipiers régulièrement observés par des clubs professionnels. Un type s’est pointé pour me dire qu’il souhaitait travailler avec moi et qu’il pouvait m’amener faire des essais. Mes parents étaient un peu sceptiques, mais il m’a mis en relation avec des jeunes qu’il avait fait rentrer en centre de formation. Et comme les frais pour le transport et l’hébergement étaient pris en charge, on a décidé d’accepter son aide. Je ne sais pas si c’est lui qui a avancé les frais ou le club, mais je n’ai rien payé. Et j’ai signé un contrat.
L’argent comme objectif
Si Boukary et son acolyte refusent d’être assimilés à des négriers, ils assument totalement l’attrait financier de cette activité. Les sommes qui circulent dans le football sont très importantes, et ils considèrent qu’une part du gâteau doit leur revenir.
Nous assumons le fait d’être les petites mains d’agents plus puissants que nous. En attendant de jouer dans la cour des grands, nous estimons que nous contribuons à l’enrichissement des clubs, des joueurs et des agents. Tout travail mérite salaire.
Le mode de rémunération est assez simple. Boukary et son acolyte se considèrent comme des apporteurs d’affaire(s). Les agents avec lesquels ils travaillent peuvent leur donner un petit billet à l’occasion d’un recrutement. Parfois, leurs frais sont également pris en charge par les structures des agents. Ils n’ont pas vraiment de statuts, car ils ne sont pas salariés de ces sociétés. Parfois ce sont des recruteurs de clubs pros qui mettent la main à la poche.
On ne va pas se mentir, l’argent circule souvent de la main à la main. Pour des sommes relativement modestes. Il faut arrêter de fantasmer sur le fric qu’on se ferait sur le dos des jeunes. Un jeune qui part en centre de formation ne va pas gagner des millions. Il gagne quoi ? 1 000 ou 2 000 euros par mois. Son agent officiel ne gagne rien sur ce salaire. Alors nous, vous imaginez bien qu’on ne touche pas un euro. On ne se fait pas du bénéfice sur leur dos.
Si les salaires des footballeurs professionnels peuvent faire fantasmer le commun des mortels, il faut tout de même pondérer les gains des agents sur leurs rémunérations. Il faut tout d’abord savoir que si la plupart des footballeurs en centre de formation sont conseillés par des agents, ces derniers, quand ils sont missionnés par des mineurs ne peuvent pas être rémunérés. Autrement dit, la poule aux oeufs d’or reste un petit poussin avant de percevoir son premier « vrai » salaire de footballeur professionnel. Sachant que la commission d’un agent ne peut pas excéder 10% de la rémunération du footballeur, il apparaît évident qu’il ne reste que des miettes aux conseillers de jeunes s’ils doivent être défrayés sur cette base.
Pourtant, l’argent est au cœur des discussions. Un éducateur du club qui prête ses installations pour l’occasion n’y va pas de main morte avec ceux qu’ils considèrent comme des charlatans.
Il ne faut pas raconter n’importe quoi. Nous savons tous que ces pseudo-agents ne marchent qu’à l’argent. Ils viennent régulièrement au bord des terrains pour démarcher des joueurs. Il y a quelques années, c’était uniquement lors des matchs qu’ils débarquaient. Désormais, ils viennent aux entraînements pour se montrer. Certains n’hésitent pas à se rapprocher des éducateurs pour avoir des informations sur leurs joueurs. En échange, on leur promet des merveilles. Certains reçoivent un petit billet. D’autres ont la promesse d’avoir un petit quelque chose en cas de signature de contrat professionnel.
Car c’est bien l’objectif poursuivi par ces « agents de jeunes ». En entrant dans le cercle proche de ces footballeurs en quête de réussite, ils misent sur une reconnaissance financière à plus long terme. Il existe de nombreux cas de « grands frères » qui ont accompagné des joueurs depuis leur plus jeune âge quand les recruteurs n’étaient pas encore trop présents. Ils ont su s’imposer comme des personnes incontournables. Les jeunes et les familles se sentent parfois redevables.
Le problème pour eux est qu’il est difficile pour eux d’accompagner des jeunes joueurs quand ils intègrent le monde professionnel. Ils ne possèdent pas toujours les codes de ce microcosme si particulier qu’il est difficile de pénétrer. Les clubs ont également tendance à vouloir écarter ces conseillers pour privilégier des agents connus.
Des pratiques parfois illégales !
Les activités des apprentis agents étant très peu encadrés, les dérives peuvent arriver très rapidement. Au cours de nos rencontres, plusieurs jeunes footballeurs ont souhaité témoigner d’arnaques subies. Elles sont nombreuses et ne reflètent pas forcément les activités de toute la corporation des recruteurs du dimanche. Comme dirait l’autre, il y a les bons et les mauvais chasseurs.
J’ai été contacté directement par Facebook par un prétendu agent. Il m’a envoyé un message privé après être tombé sur la page d’un Five sur laquelle un ami disait que j’avais « tout cassé. » Il m’a rapidement demandé en ami. Il se mettait en scène sur son profil. A l’aéroport avec un joueur, au centre d’entraînement d’un grand club avec un autre.
Afin d’attirer un éventuel gros poisson, ils n’hésitent pas à draguer des footballeurs sur les réseaux sociaux. Facebook ou Twitter en priorité. Le « repérage » est parfois uniquement lié à un commentaire d’un ami ou à la publication d’un Vine. Ce mode de recrutement peut apparaître comme artisanal et plutôt rudimentaire, mais il rencontre un réel succès. Les jeunes se précipitent à ces journées de détection qui apparaissent souvent comme des dernières chances. Le territoire francilien est considéré comme la « Mecque du recrutement » et il est particulièrement bien maillé. Difficile pour un gros poisson de passer à travers les mailles des filets des recruteurs de région parisienne. Les joueurs qui participent à ces essais sont souvent considérés comme des « troisièmes choix. »
Je ne suis pas débile. Je me doute que ces mecs ne doivent pas avoir un réseau énorme. Mais je galère depuis tellement de temps pour trouver un essai, que je suis prêt à passer par ces sessions.
Certains utilisent cette volonté farouche de certains jeunes pour mettre en œuvre des pratiques qui flirtent avec la moralité voire la légalité. Il faut dire que la tentation est grande. Des centaines voire des milliers de jeunes rêvent de « percer dans le football. » Et plus ils avancent en âge et devraient détecter les pratiques douteuses, plus ils tombent dans le panneau tellement leur réussite de footballeur semble se dérober sous leurs pieds. Ils sont prêts à tout : payer pour un montage video, payer pour un essai …
Je me suis fait arnaquer de 600 euros. On m’a fait avancer cet argent pour faire un essai à l’étranger. J’ai bien pu me déplacer, mais finalement, quand nous sommes arrivés en Angleterre, nous avons bien compris que nous n’étions pas attendus. Nous avons effectué un essai sur un terrain synthétique avec deux personnes présentés comme des recruteurs. Rien d’officiel. Bien évidemment, ça n’a débouché sur rien. Ni pour moi, ni pour les autres convoqués. Par contre, on a eu le droit à la photo devant le centre d’entraînement du club …
Certains n’ont même jamais mis les pieds en Angleterre malgré des sollicitations de grands clubs anglais. Plus c’est gros et plus ça passe ! Plusieurs jeunes sont tombés dans le panneau en recevant des pseudo-convocations pour des essais avec des clubs étrangers.
Il s’agit bien évidemment de faux grossiers. En regardant ces documents et en faisant une petite recherche, on peut même s’apercevoir que les numéros de téléphone de téléphone et de fax figurant au bas de la lettre pour la convocation du club d’Everton correspondent en fait aux coordonnées de Tottenham. De quoi se retrouver un peu bête au moment d’embarquer.
Appâtés par le succès, ils sont nombreux à avoir avancé des frais sans jamais revoir leur argent. Les plus chanceux ont parfois fait des essais alors que d’autres ont perdu la trace de ces pseudos conseillers et vrais escrocs. Plusieurs joueurs nous ont raconté, avec honte, qu’ils avaient parfois laissé des petites fortunes a des pseudo-conseillers, rencontrés sur internet ou autour de certains terrains d’Ile-de-France. Une grande majorité de ces jeunes exprime un fort sentiment de culpabilité.
Quand on est victime d’une arnaque de ce genre on a vraiment honte. Un peu comme les provinciaux qui montent à Paris et se font plumer dans des bars à putes. Donner des centaines d’euros à un inconnu pour un essai, c’est vraiment être le dernier des pigeons. Mais on veut tellement percer qu’on ne voit même pas le piège.
Durant notre enquête, nous avons essentiellement eu des témoignages de jeunes adolescents, parfois livrés à eux-mêmes et sans le discernement nécessaire pour prendre conscience du mauvais tour que des personnes peu scrupuleuses essayaient de leur jouer.
Heureusement, des parents veillent encore sur leur progéniture, quitte à casser les rêves les plus fous de leurs enfants !
Mon fils a été contacté il y a plusieurs semaines par des personnes se présentant comme des recruteurs. Quand j’ai demandé « ils travaillent pour quel club ?« , il n’a pas su me répondre. J’ai donc souhaité l’accompagner pour voir à quoi ressemblent ces rassemblements. Ça ne me plaît pas du tout, j’ai l’impression d’être à Rungis. On dirait un casting de La Nouvelle Star. J’ai dis à mon fils qu’on allait rentrer. S’il doit se faire repérer ce sera avec son club. Et sinon, c’est pas la fin du monde !
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